Entre la morne plaine de Bièvre et les collines riantes du Chambaran
DIDIER HEUMANN, ANDREAS PAPASAVVAS

Nous avons divisé l’itinéraire en plusieurs sections, pour faciliter la visibilité. Pour chaque tronçon, les cartes donnent l’itinéraire, les pentes trouvées sur l’itinéraire et l’état du GR65. Les itinéraires ont été conçus sur la plateforme “Wikilocs”. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir des cartes détaillées dans votre poche ou votre sac. Si vous avez un téléphone mobile ou une tablette, vous pouvez facilement suivre l’itinéraire en direct.
Pour ce parcours, voici le lien:
https://fr.wikiloc.com/itineraires-randonnee/de-la-cote-st-andre-a-marnans-sur-la-via-gebennensis-adresca-32799398
Tous les pèlerins ne sont pas forcément à l’aise avec la lecture des GPS ou la navigation sur un portable, d’autant plus qu’il existe encore de nombreuses zones sans connexion Internet. C’est pourquoi, pour faciliter votre voyage, un livre dédié à la Via Gebennensis par la Haute-Loire est disponible sur Amazon. Bien plus qu’un simple guide pratique, cet ouvrage vous accompagne pas à pas, kilomètre après kilomètre, en vous offrant toutes les clés pour une planification sereine et sans mauvaises surprises. Mais au-delà des conseils utiles, il vous plonge dans l’atmosphère enchanteresse du Chemin, capturant la beauté des paysages, la majesté des arbres et l’essence même de cette aventure spirituelle. Seules les images manquent : tout le reste est là pour vous transporter.
En complément, nous avons également publié un second livre qui, avec un peu moins de détails mais toutes les informations essentielles, décrit deux itinéraires possibles pour rejoindre Le Puy-en-Velay depuis Genève. Vous pourrez ainsi choisir entre la Via Gebennensis, qui traverse la Haute-Loire, ou la variante de Gillonnay (Via Adresca), qui se sépare de la Via Gebennensis à La Côte-Saint-André pour emprunter un itinéraire à travers l’Ardèche. À vous de choisir votre parcours.
. |
 |
 |
Si vous ne voulez que consulter les logements de l’étape, allez directement au bas de la page.
Aujourd’hui, c’est un changement de cap, de lumière, et peut-être même d’humeur qui vous attend. Le parcours vous emmène sur la variante de Gillonay, au cœur de la vaste plaine de la Bièvre-Valloire, une étendue infinie qui semble vouloir suspendre le temps. Cette plaine se déploie comme un livre largement ouvert. Plus loin, vous aurez droit aux premiers reliefs du Chambaran, une région à la silhouette plus vigoureuse, qui domine la plaine de l’Isère. Là-bas, loin à l’horizon, se dessine Valence, gardienne silencieuse au bout de la vallée. Si vous arrivez du Grand-Lemps, le château de Montgontier, à la fois austère et accueillant, offre un abri pour les pèlerins. Attention, cependant : l’hospitalité ici ne s’improvise pas, et une réservation 24 heures à l’avance est impérative. Pour ceux qui auraient pris le chemin jusqu’à la Côte-Saint-André, une petite marche arrière est nécessaire. Mais n’est-ce pas aussi le privilège du pèlerin que d’accepter les détours imposés par les aléas du voyage ?
Deux possibilités s’offrent à vous pour atteindre le Puy-en-Velay : la Via Gebennensis et la Via Adresca. Si la première semble plus prisée, ce n’est pas nécessairement une question de beauté. La Via Gebennensis bénéficie d’une meilleure visibilité dans les guides, tandis que la Via Adresca se réserve à une poignée d’initiés, amateurs de chemins plus secrets. Cette dernière, pourtant, ne manque pas de charme. Elle invite à une immersion dans les collines ardéchoises, ces ondulations pétries de lave ancienne qui vibrent encore du murmure des volcans éteints. Alors que la Via Gebennensis s’étire longuement pour rejoindre le Rhône avant de gravir les collines de la Haute-Loire, la Via Adresca prend un chemin plus direct, franchissant rapidement les hauteurs de l’Ardèche. Elle vous livre au paysage avec une simplicité rugueuse, avant de vous conduire au seuil du Puy-en-Velay. Deux routes, deux tempéraments : l’une vous caresse, l’autre vous confronte.
En traversant la Bièvre-Valloire, vous explorez les secrets d’une plaine qui n’est pas qu’un espace vide. C’est une auge glaciaire, vestige d’un temps où les glaciers sculptaient le monde. Autour d’elle, les moraines s’élèvent en collines douces, couvertes de galets polis par les millénaires. Au nord, la forêt de Bonnevaux, une masse dense et sombre, cache des clairières lumineuses comme des pauses dans un récit. Au sud, les Chambaran dressent leurs plateaux. Ces deux forêts sont comme des parenthèses qui encadrent la plaine, un écho des forces titanesques qui ont façonné ce territoire.
Aujourd’hui, c’est vers le Chambaran que le parcours vous conduit, sur des terres où les reliefs commencent à troubler la sérénité plate de la Bièvre. La forêt, dense et capricieuse, vous enveloppe.
.

Difficulté du parcours : L’étape du jour n’offre pas de grands défis de dénivelé : les pentes, bien que présentes, restent modestes. Les dénivelés (+387 mètres/ -293 mètres) se répartissent sur des parcours qui hésitent entre douceur et rudesse. La traversée de la Bièvre, malgré sa beauté paisible, peut s’étirer comme un long soupir monotone. C’est après St Siméon-de-Bressieux que le relief devient un peu plus vif, les pentes se raidissant légèrement. Cependant, même les plus abruptes ne dépassent guère 15 %, en montée comme en descente. Ici, le défi réside moins dans l’effort physique que dans la nature du sol : les chemins sont souvent jonchés de pierres. Chaque pas doit être mesuré, chaque pierre contournée ou affrontée avec soin.
État de la Via Adresca : Dans l’étape du jour, vous marcherez un peu plus sur le goudron que sur les chemins :
- Goudron : 14.0 km
- Chemins : 9.7 km
Parfois, pour des raisons de logistique ou de possibilités de logement, ces étapes mélangent des parcours opérés des jours différents, ayant passé plusieurs fois sur ces parcours. Dès lors, les ciels, la pluie, ou les saisons peuvent varier. Mais, généralement ce n’est pas le cas, et en fait cela ne change rien à la description du parcours.
Il est très difficile de spécifier avec certitude les pentes des itinéraires, quel que soit le système que vous utilisez.
Pour les vrais dénivelés, relisez la notice sur le kilométrage sur la page d’accueil.

Section 2 : Sur la morne plaine de Bièvre-Valloire

Aperçu général des difficultés du parcours : après la descente en pente sur Gillonay, c’est plat, ou presque.

Les deux parcours vont au Puy-en-Velay, mais la Via Gebennensis a nettement pris le pas sur la Via Adresca. Vous ne rencontrerez que peu de pèlerins sur la Via Adresca, une voie qui est plus utilisée par les gens amoureux de l’Ardèche. Mais, on peut vous l’assurer, ce chemin vaut bien l’autre. Comme, il y a souvent de la confusion entre les GR et le Chemin de Compostelle, nous utiliserons donc le terme de Via Adresca pour définir le parcours.
Le Château de Montgoutier marque le véritable point de départ de la variante de Gillonay, aussi connue sous le nom de Via Adresca. Ce lieu historique, avec sa silhouette imposante, est à lui seul une invitation au voyage, une porte ouverte sur un chemin empreint de mystère et d’aventures. Ici commence le parcours, où chaque pas mène le pèlerin un peu plus loin dans la découverte de soi et du monde.

La bifurcation est impossible à manquer, signalée avec force et précision par une série de panneaux. Les indications, claires et visibles, forment un balisage rassurant pour les marcheurs, comme si le chemin lui-même murmurait des encouragements à ne pas dévier. |
 |
 |
Sur cette section de la Via Adresca, le chemin s’incline doucement, bordé de gros galets qui forment un chemin de pierres brutes, éparpillées sous un couvert de feuillage épais. À chaque pas, le crissement des pierres sous les pieds résonne dans le silence du sous-bois, rappelant que cet parcours est ancien, arpenté par des générations. Il convient ici de souligner l’œuvre admirable de l’Association Rhône-Alpes des Amis de Saint-Jacques, qui a méticuleusement balisé le parcours pour assurer la sécurité et l’orientation des pèlerins. Pourtant, dès le départ, une prudence s’impose. Là, sur un grand chêne, une coquille discrète indique un virage vers la droite. |
 |
 |
Mais si le marcheur passe à une saison où les hautes herbes et les feuilles denses dissimulent le sentier, la coquille risque de passer inaperçue, enfouie sous les feuillages. Sans ce repère, il est facile de s’égarer, de poursuivre tout droit le long du ruisseau. Ce chemin trompeur, en apparence accueillant, mène en réalité à une impasse, où les barbelés et les portails barricadés des fermiers coupent brutalement l’élan du pèlerin. Une déviation frustrante, dissuadant les plus téméraires. Toutefois, gardons-nous de reprocher ce désagrément aux Amis de l’Association ; ils ne peuvent se transformer en jardiniers perpétuels, toujours prêts à couper les feuillages qui cachent parfois les marques du chemin. |
 |
 |
Le chemin, ombragé par de grands arbres feuillus, se tapisse de pierres qui roulent sous les pas, ajoutant un rythme singulier à la marche. Ces pierres, polies par le passage des pèlerins et des ans, racontent, elles aussi l’histoire silencieuse du chemin. |
 |
 |
La traversée du sous-bois est brève, et bientôt, le pèlerin émerge de l’ombre pour retrouver la lumière et les larges clairières. Là, sous un ciel d’un bleu éclatant, la vue s’ouvre sur une vaste étendue de prairies qu’il faut traverser sans hésitation. À droite, une haie de sous-bois se profile, menant doucement le marcheur vers l’immensité de la plaine de la Bièvre qui s’étire devant lui, horizon sans fin et promesse d’un nouveau chapitre. |
 |
 |
Le chemin serpente à travers les sous-bois ombragés et les champs de maïs aux airs austères, dans une campagne où l’harmonie semble absente. L’air n’est pas empli de plénitude, mais plutôt d’une lourdeur discrète, comme une nature en veille. |
 |
 |
Au bas de la descente, le chemin arrive en périphérie de Gillonay, un village parsemé de maisons en pisé ocre, dont les teintes chaudes et douces incarnent le charme tout particulier du Dauphiné. Certaines de ces bâtisses sont de simples granges, aux murs rugueux et patinés par le temps, tandis que d’autres servent encore de refuge à des habitants, témoin de la vie rustique et tranquille des lieux. |
 |
 |
À cet endroit, le voyage devient une traversée de la grande plaine de Bièvre-Valloire. Cette étendue, qui s’étend sur plus de six kilomètres de large, offre à celui qui la parcourt la sensation d’un infini horizontal. La route ne suit pas toujours une ligne droite, mais trace plutôt des courbes molles, à la manière d’une longue manivelle qui semble étirer le temps lui-même. Selon l’humeur, ce trajet peut être un plaisir mélancolique ou une épreuve ennuyeuse, une sensation de lenteur où le regard se perd dans l’immensité. La terre, ici, est largement dominée par la culture du maïs et du colza, avec des tracteurs qui labourent sans relâche cette vaste mer végétale. Parfois, le blé ou le soja viennent rompre cette dominance jaune et verte, mais la véritable star reste cette vaste monotonie. Les tournesols, eux, semblent moins nombreux que dans d’autres régions. |
 |
 |
Puis, le parcours s’élance vers la départementale D73, route qui découpe la plaine de la Bièvre et longe le village de Gillonay, sillonnant les terres comme un fil d’argent suspendu entre les collines et la vallée. |
 |
 |
Les pylônes électriques, imposants et modernes, ponctuent votre progression comme des repères mécaniques. Mais le véritable point d’ancrage de la vue, c’est l’aéroport de Grenoble qui, lentement, se dessine à l’horizon, un monolithe de béton et de verre qui s’élève dans la lumière. Ici, le paysage se transforme en une sorte de Meseta espagnole, une étendue cultivée où l’âme semble se dissiper. La différence réside dans la durée de cette traversée : en Espagne, la Mesta s’étend sur des centaines de kilomètres ; ici, la sensation d’enfermement ne dure que quelques heures. |
 |
 |
À mesure que l’on avance, les arbres se font de plus en plus rares, chassés par les grands tracteurs dont les roues les arrachent sans pitié. La nature est aujourd’hui dominée par les cultures et l’industrie agricole, et l’on regrette presque les ombres des anciens bois disparus. |
 |
 |
Il serait pourtant erroné de croire que la plaine est parfaitement plate. À l’improviste, une petite bosse se présente, une ondulation douce, presque imperceptible, qui cache une oasis d’ombre et de fraîcheur : des cerisiers qui, par leur présence, apportent une touche de poésie dans ce paysage autrement morne. Sous leurs branches, l’air semble se rafraîchir, offrant un répit à l’âme fatiguée. La route descend alors de ce que l’on appellerait naïvement une colline, reprenant sa course lente à travers la vaste plaine. |
 |
 |
De loin, vous verrez les bâtiments de l’aérodrome se profiler de plus en plus nettement à l’horizon, mais il vous faudra encore un long moment avant de les atteindre. Ce n’est qu’un point de repère parmi tant d’autres, un mirage lointain qui ne fait que renforcer la distance encore à parcourir. |
 |
 |
Derrière les champs de colza, de soja, de tournesol et de maïs, la traversée de cette vaste étendue semble interminable, un étirement d’espace où la monotonie est à peine rompue par les collines qui se dessinent lentement au loin. Peu à peu, les montagnes de l’Isère émergent, plus proches à chaque pas, grandissant dans le ciel comme une promesse de fin, de relief. |
 |
 |
Dire que cette plaine est exiguë serait une vue de l’esprit. L’horizon, ici, semble s’étirer au-delà de l’imaginable, infiniment vaste, comme un rêve d’espace sans fin. |
 |
 |
Section 2 : Près de l’aéroport de Grenoble

Aperçu général des difficultés du parcours : c’est plat.

Puis, sur cette route qui semble s’étirer à l’infini, le regard s’accroche soudain à un ballet inattendu : des petits avions, tels des oiseaux mécaniques, amorcent leur descente vers l’aéroport. |
 |
 |
La route tangue, s’éloigne, puis s’efface derrière la silhouette discrète de l’aéroport de Grenoble-Isère. Levant les yeux, on n’aperçoit que quelques appareils modestes, de ces « coucous « familiers aux aéroclubs. À première vue, rien ici ne dénote un grand centre aérien ; l’endroit pourrait passer pour l’un de ces aéroports de province endormis. Pourtant, en hiver, une effervescence timide s’empare des lieux : des compagnies low cost y déposent des grappes de skieurs, venus dévaler les pentes enneigées de l’Isère. Avec ses quelque 350 000 voyageurs annuels, l’aéroport se hisse tout juste au 34ème rang national, une performance modeste face à la population grenobloise, qui dépasse les 170 000 âmes. Pour comparaison, Genève, ville à peine plus peuplée, accueille 17 millions de passagers par an. La distance n’aide pas : depuis le centre de Grenoble, cinquante kilomètres séparent les voyageurs de cet aéroport. Un tel écart ? Autant y aller à pied, comme vous ! |
 |
 |
À proximité immédiate de l’aéroport, la route tangue de nouveau et flirte avec l’autoroute. Celle-ci, l’A48, relie Grenoble à Lyon, mais ici, elle n’est guère plus qu’une discrète bretelle menant aux installations aéroportuaires. Peu fréquentée, presque muette, elle semble attendre les rares véhicules qui s’y aventurent. Sur cette portion, la solitude est reine. |
 |
 |
L’autoroute A48 relie Grenoble à Lyon. Sur la gauche, les usines du quartier industriel de la Marguetière dressent leurs silhouettes de béton et d’acier, promesse d’un labeur acharné. Sur la droite, le paysage s’ouvre : le regard glisse jusqu’à la ville de La Côte-Saint-André, accrochée à son coteau, comme si elle contemplait avec sérénité la vaste plaine de la Bièvre. |
 |
 |
La route vous mène ensuite, non sans malice, au village de Brézins, qui semble à première vue se blottir contre une colline protectrice. Ses toits de tuiles rouges, illuminés par un rayon de soleil hésitant, lui confèrent une allure paisible. Mais l’illusion est brève : la plaine s’étire à perte de vue, vous forçant à poursuivre votre chemin, toujours plus loin, sur cette terre où le temps s’étire comme une lente mélodie. |
 |
 |
Puis arrive le village, long et étendu, marqué par une architecture ancienne. Les immeubles en pisé, témoins d’un savoir-faire ancestral, confèrent à l’endroit une humilité presque poignante. Ici, tout respire la modestie : ni faste ni éclat ne viennent troubler cette simplicité. Ce village, sans artifice, semble murmurer des récits d’autrefois. |
 |
 |
Dans un coin discret, un particulier a affiché un message qui interpelle. Trois mots s’en détachent : vérité, bien, utilité. Ce sont les trois préceptes de Socrate, ce test légendaire qui invite chacun à ne transmettre que des paroles authentiques, bienveillantes et nécessaires. Dans ce cadre rural, cet appel à la sagesse antique prend une profondeur inattendue, comme un écho lointain d’un humanisme oublié. |
 |
 |
Enfin, l’église se dévoile, humble et reculée, derrière de hauts murs en pisé qui semblent vouloir la protéger du monde extérieur. Elle est là, témoin d’un patrimoine discret mais précieux, emblématique de cette terre dauphinoise, en Isère. Sa simplicité en dit long sur l’histoire de ces lieux : un ancrage dans la tradition, une mémoire qui se chuchote au creux des pierres. |
 |
 |
Lorsque la Via Adresca s’échappe enfin du village, une vaste étendue s’impose à vous : un horizon plat et sans fin qui vous rappelle que St Siméon de Bressieux, le prochain point de bascule du parcours, demeure à plus de cinq kilomètres. Ici, la plaine de la Bièvre s’étire sans concession, imposant une patience que seule la promesse des collines, encore lointaines, peut nourrir. Ces collines, douces et apaisantes, attendent, comme une récompense différée, au-delà de cette étendue monotone. Prenez votre mal en patience, car le parcours ne fera aucun cadeau ! |
 |
 |
À la sortie d’un village qui semble s’étirer indéfiniment, des traces du passé émergent. Là, quelques vestiges rouillés d’une voie ferrée abandonnée se devinent, témoins muets d’un projet autrefois ambitieux : relier ces terres à la zone industrielle, deux kilomètres plus loin. Mais ces ambitions locales sont aujourd’hui emportées par une vague nationale : bientôt, il ne restera en France que les lignes TGV reliant les grandes métropoles : Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux. L’écho de ce monde ferroviaire qui disparaît ajoute une mélancolie discrète à ce paysage déjà marqué par la lassitude. |
 |
 |
Près d’une zone récente, où quelques bâtiments fonctionnels composent une sorte de quartier de services, une allée de graviers s’avance, rectiligne. Elle découpe la plaine avec une simplicité presque austère, bordée de champs où alternent prés, blés et haies de feuillus. Une géométrie rustique, sans fioritures, où la nature s’ordonne sans éclat. |
 |
 |
Pour aimer cette plaine, il faut peut-être y être né, ou y trouver une raison que seul un attachement intime peut offrir. À ceux qui la traversent, elle inspire une solitude pesante. Au loin, la silhouette de la zone industrielle de la Marguetière rompt l’uniformité du paysage, mais n’offre guère de réconfort. C’est un lieu fonctionnel, sans âme apparente, où l’on produit sans s’attarder. |
 |
 |
L’Allée du Stade débouche bientôt, non sans surprise, dans un méandre plus habité. Là où le gravier cède la place au goudron, une petite bifurcation conduit à une zone où les bâtiments reprennent des airs familiers. |
 |
 |
Ici, les constructions en pisé et les murs de galets, caractéristiques du Dauphiné, rappellent avec force la tradition et l’identité de cette région, déjà rencontrées tout au long de la Via Gebennensis traditionnelle. Ce sont des marques d’une résistance discrète, un patrimoine qui refuse de s’effacer. |
 |
 |
Sur ce segment de plaine, la culture domine. Les oléagineux, le soja et surtout le colza règnent en maîtres sur ces terres. Ils couvrent les champs d’une parure saisonnière, parfois éclatante de jaune, mais l’absence de vaches et de prairies confère à ce paysage une singularité presque déconcertante. Ici, l’agriculture s’est ajustée aux impératifs modernes, laissant derrière elle l’image bucolique des campagnes d’antan. |
 |
 |
La route, fidèle à elle-même, poursuit son cheminement interminable, longeant les champs avec une obstination sans fin. Lentement, elle se rapproche de la Marguetière, comme si son destin se dirigeait inexorablement vers cette enclave industrielle, là où la plaine laisse enfin entrevoir un nouveau chapitre de l’histoire du paysage. |
 |
 |
Section 3 : Jusqu’au bout de la plaine de Bièvre-Valloire

Aperçu général des difficultés du parcours : c’est plat, ou presque.

La route s’étire avec lenteur jusqu’au quartier industriel de la Marguetière, un territoire que vous avez longuement aperçu à l’horizon pendant votre traversée languissante de la plaine. Ce lieu, aux allures modestes et pragmatiques, trahit sa fonction utilitaire : il abrite des industries massives, dont l’une produit du béton, et semble dialoguer sans poésie avec l’autoroute qui le flanque. Derrière l’étendue jaune vif des champs de colza, les collines de La Côte-Saint-André esquissent encore timidement leur silhouette, comme une promesse lointaine d’horizons plus cléments. |
 |
 |
Contourner la zone industrielle devient une sorte de passage obligé, un détour sans éclat, où l’autoroute trace sa bretelle comme une ligne indifférente au paysage alentour. Ici, tout paraît si monotone, si languissant, que l’idée saugrenue de déambuler sur l’autoroute elle-même pourrait presque traverser l’esprit d’un esprit en quête de nouveauté. L’inertie de ce lieu s’impose comme une pesanteur, où l’horizon semble hésiter entre l’abandon et l’ennui. |
 |
 |
À la sortie de ce territoire de fer et de ciment, un carrefour marque un léger regain de mouvement, comme une pause sur l’asphalte où les voies s’éparpillent vers d’autres promesses. Vous êtes alors à un peu plus de trois kilomètres de St Siméon-de-Bressieux, un point d’ancrage qui semble enfin annoncer quelque chose de plus humain, de plus proche. |
 |
 |
Puis, le paysage cède soudain la place à une douceur inattendue : un chemin de terre s’éloigne des routes droites et du bruit des moteurs, s’élançant dans une mer de blé et de maïs. Il franchit le ruisseau du Rival, une eau claire et insouciante qui redonne au paysage un éclat simple et bucolique. Ici, la plaine respire un peu mieux, se fait plus lumineuse, presque joyeuse dans son assemblage de cultures et de petits cours d’eau. Les pèlerins et les randonneurs y trouveront un répit bienvenu, un souffle de sérénité dans une nature qui s’adoucit. |
 |
 |
Un peu plus loin, le chemin semble s’amuser à suivre le ruisseau du Petit Rival. L’eau devient un fil conducteur, presque un motif dans ce tableau champêtre, tandis qu’un vieux dicton paysan murmure à l’oreille : il faut toujours un peu d’eau pour apaiser l’appétit insatiable des maïs. Ce refrain accompagne le paysage, apportant une touche familière et rustique. |
 |
 |
Cependant, tout n’est pas douceur et harmonie. Les champs, malgré un effort visible des paysans pour débarrasser leurs prairies de pierres, n’offrent pas toujours une beauté saisissante. Les maïs, souvent ternes, s’imposent sans grâce dans ces terres qui manquent parfois de poésie. Le chemin, lui, devient caillouteux, presque récalcitrant, longeant un sous-bois où l’ombre des arbres semble cacher un soupçon de fatigue. |
 |
 |
Finalement, le chemin de terre débouche sur une route menant au village du Temple. Une fois encore, l’eau se fait compagne du voyageur, serpentant en un mince filet sous la bienveillante protection des chênes, de la charmille et des frênes. Ici, aucun pèlerin ne se plaindra de délaisser les galets rugueux du chemin pour emprunter brièvement l’asphalte, comme une trêve offerte entre deux passages. La route, bordée de nature et d’eau, apaise enfin les pieds fatigués et les esprits songeurs. |
 |
 |
La route, légèrement ascendante, mène vers les maisons éparpillées du village, vestiges d’une vie qui semble s’être retirée sur la pointe des pieds. Ici, dans ces hameaux simples et rustiques, le bruissement de la vie sociale a depuis longtemps disparu, emporté par les vagues silencieuses du temps. |
 |
 |
Ce coin de l’Isère porte encore, comme un murmure lointain, les traces de l’influence de l’Ordre des Templiers. Leur puissance résonnait fortement dans la région, avec de nombreuses commanderies éparpillées. Parmi elles, celle de Bressieux s’établissait au lieu-dit Le Temple. Pourtant, les siècles ont effacé presque toutes les marques de leur présence, tout comme celles du château de la puissante famille des Bressieux, dont les ruines, sentinelles fantomatiques, continuent de dominer le bourg depuis leur promontoire. |
 |
 |
Peu après, la route s’éloigne du hameau, longeant des murs de pisé et de galets roulés, témoins typiques du patrimoine de la Bièvre et du Dauphiné. Ces murs, d’une simplicité robuste, racontent des histoires de main-d’œuvre paysanne et de matériaux locaux, arrachés à la terre pour bâtir des refuges durables. |
 |
 |
En approchant du lieu-dit Château de Bressieux, un regard attentif découvre, à travers les frondaisons de chênes, les vestiges du château médiéval, accrochés à la colline comme les lambeaux d’un rêve ancien. Ces ruines exigent une certaine patience et une curiosité presque enfantine pour dévoiler leurs secrets.

Plus bas, le long de la route, un château bien réel apparaît, noble et imposant, entouré d’un vaste parc. Cette demeure élégante appartient depuis des générations à la famille de Luzy de Pellissac, gardienne silencieuse de cette terre où se croisent histoire et mémoire. |
 |
 |
La route poursuit son chemin jusqu’à St Siméon-de-Bressieux, glissant doucement vers le cœur du bourg, habité par quelque 2’800 âmes. Ce centre vivant offre un contraste saisissant avec les paysages mornes laissés derrière. |
 |
 |
Pour les courageux, l’ascension vers les ruines de l’ancien château médiéval représente une opportunité de toucher du regard l’histoire. Mais la montée, de plus d’un demi-kilomètre, demande un effort que tous ne sont pas prêts à fournir. Ceux qui préfèrent rester au niveau du bourg trouveront matière à réflexion dans les vestiges de la soierie Girodon. Fondée en 1848 par Alphonse Girodon, cette usine autrefois florissante employait près de 1’000 ouvriers. Bien que fermée en 1934, elle laisse derrière elle un bâtiment industriel empreint de nostalgie. Autour de ce vestige d’un passé laborieux, le silence de l’artisanat disparu résonne comme une plainte étouffée. |
 |
 |
Le village, humble comme tant d’autres en Isère, dissimule encore des trésors inattendus. Parmi eux, des maisons bourgeoises, traces discrètes d’une époque prospère. L’église, reconstruite au XIXe siècle pour remplacer un édifice en ruine, et la mairie élégante, accompagnée de son école datant du début du XXe siècle, témoignent d’une volonté de renouer avec une certaine grandeur. |
 |
 |
Enfin, le parcours s’apprête à quitter sans regret la plaine de la Bièvre. Il entame une ascension en paliers, s’élevant vers le plateau de Chambaran. À hauteur du Chemin des Chênes, la Via Adresca bifurque, abandonnant l’axe principal pour s’élancer vers la périphérie du bourg. La direction est claire : Marnans, à 7 kilomètres, appelle à poursuivre le voyage. |
 |
 |
Section 4 : En montée vers le plateau de Chambaran

Aperçu général des difficultés du parcours : la difficulté, mais elle est mineure, est la montée vers Charpenay.

Le parcours s’engage sous l’ombre bienveillante des arbres, leur frondaison tissant un voile de lumière tamisée. Il longe une école maternelle, imposant édifice où résonnent encore les échos de rires enfantins, avant de croiser une maison de maître. Cette demeure, imposante dans sa retenue, repose au cœur d’un grand parc où des cimes altières murmurent leurs secrets aux passants. |
 |
 |
Un sentier sinueux s’élève ensuite, longeant les palissades de la résidence. Il s’immisce dans un sous-bois où règnent des chênes robustes, maîtres séculaires des lieux, accompagnés d’un cortège végétal de hêtres vigoureux, d’érables aux bras ouverts et de châtaigniers généreux. La charmille, dense et vivante, tisse ici un écrin d’ombre et de lumière, un refuge pour les âmes en quête de quiétude. |
 |
 |
À mesure que l’ascension se poursuit, le sol s’orne d’une constellation de galets, témoins muets de l’histoire géologique de la région. Ces galets, lissés par les millénaires, transportés par les glaciers de l’ère quaternaire, forment une mosaïque qui raconte la danse ancienne des glaces. Bien que vous ayez quitté les galets de la Bièvre pour ceux du Chambaran, leur nature demeure identique : souvenirs polis d’une époque révolue, nichés dans un sol morainique souvent pauvre. |
 |
 |
Plus haut, le sentier rejoint brièvement une route discrète avant d’atteindre une croix de fer, élégamment plantée dans les feuillages. Elle surplombe les murs de galets roulés, une vision d’apaisement et de foi nichée dans l’intimité de la nature. |
 |
 |
Le sentier, cependant, ne s’adoucit pas. Il continue de gravir les hauteurs, jonglant avec les racines entremêlées, les pierres rebelles et les ornières que l’eau de ruissellement a creusées. Malgré une quinzaine de jours sans pluie, le passage, au creux du sous-bois puis dans les herbes folles de la clairière, s’apparente à un torrent asséché. Un spectacle intrigant, qui laisse deviner le chaos qu’une averse pourrait y semer. |
 |
 |
Arrivé au lieu-dit Soizon, le chemin rejoint une route goudronnée, bordée d’un sous-bois tranquille. Ici, les véhicules sont rares, et le silence règne. |
 |
 |
La route grimpe doucement, serpente entre prés verdoyants et sous-bois ombragés, et révèle un panorama apaisant : la vallée de la Bièvre s’étale en contrebas, ponctuée par St Siméon-de-Bressieux, son calme apparent invitant à la contemplation. |
 |
 |
Les collines s’adoucissent encore, dessinant une courbe tendre sous un ciel clair. L’atmosphère ici est riante, accueillante, presque complice. Les frênes et les chênes jouent les sentinelles, tandis qu’au-dessus, une forêt dense et obscure se dresse, imposante et mystérieuse. |
 |
 |
Une ferme en pisé se dresse alors en bord de route, tableau bucolique d’un passé agricole. Ici, les prairies dominent, mais la terre trahit une certaine ingratitude, sa maigreur ne cachant rien de ses limites. |
 |
 |
Plus loin, la route approche du hameau de Charpenay, un village clairsemé, où l’impression première révèle des habitants venus de divers horizons, pas uniquement des paysans. Les maisons éparses, enveloppées de simplicité, racontent l’histoire d’un lieu où le temps semble parfois suspendu. Traversant un village plus ramassé, la route borde des habitations modestes, discrètement dissimulées derrière des haies de thuyas, écrans verdoyants d’une intimité tranquille. |
 |
 |
La route finit par atteindre la Croix Breynard, discrète sentinelle plantée dans ce paysage paisible, à cinq kilomètres de Marnans. Ces croix, omniprésentes dans la région, racontent en silence les récits d’une dévotion populaire ancrée dans le quotidien. À partir de ce point, la Via Adresca esquive les agglomérations, préférant s’égarer entre forêts ombreuses et campagnes ouvertes. |
 |
 |
Un chemin s’engage doucement à travers les prés, bordé de majestueuses haies de frênes qui se déploient en sentinelles vertes. Le paysage respire ici une simplicité bucolique, une invitation à goûter le charme de la campagne véritable, loin des agitations du monde moderne. |
 |
 |
Au lieu-dit Grande Vie, une petite route serpente entre champs de soja, éclatants tournesols et prairies verdoyantes. Elle s’oriente vers le Bois de la Porte, avant de filer en direction de Combe Bajat, où les promesses de sous-bois ombragés se font plus présentes. |
 |
 |
La route commence alors à s’élever légèrement, sans jamais devenir exigeante. Elle trouve son apogée pour un chemin à l’orée d’une forêt dense et exubérante, promesse d’un écrin naturel vibrant de vie. |
 |
 |
Ici, c’est une véritable célébration pour les pieds de fouler les galets des moraines du Chambaran, cousins spirituels de ceux de la Bièvre foulés plus tôt. Ces pierres arrondies, souvenirs d’un âge glaciaire lointain, offrent une texture presque musicale sous les pas, rappelant que la Via Adresca ne manque pas de passages ainsi « croustillants ». De quoi réjouir les marcheurs en quête de sensations tangibles et authentiques. |
 |
 |
Cependant, par instants, les galets se raréfient, presque comme effacés. Peut-être les plus gros d’entre eux ont-ils été emportés, récupérés pour bâtir les murs des maisons alentour. Mais ils réapparaissent rapidement, fidèles au cycle géologique des sols du Chambaran, comme si la terre elle-même jouait à cache-cache avec l’histoire. |
 |
 |
La forêt qui entoure ces lieux s’avère à la fois dense et accueillante. Les arbres, élancés comme pour toucher le ciel, composent un univers où hêtres, charmille, érables et châtaigniers règnent en maîtres. Les chênes, pour l’heure, se font rares, mais la compétition silencieuse des essences, notamment des jeunes châtaigniers, offre un spectacle vivant et presque théâtral, commun aux bois du Dauphiné. |
 |
 |
Peu après, le chemin se détache des bois profonds du Bois de la Porte, débouchant sur une clairière lumineuse. Là, au milieu de la nature sauvage et paisible, se nichent quelques maisons éparses, comme des refuges solitaires dans un océan de verdure. |
 |
 |
La Via Adresca se connecte alors à une petite route goudronnée, poursuivant son chemin vers de nouveaux horizons. |
 |
 |
Vous atteignez l’entrée de la forêt de la Combe Bajat, un lieu où le souffle de la nature semble s’intensifier. La route, toujours modeste, vous invite à la suivre brièvement. |
 |
 |
Tout près, le ruisseau de Bertrand trace son cours discret, serpentant à côté d’un petit étang. Ce coin de nature, à la fois sauvage et apaisé, semble suspendu dans le temps. La douceur et la beauté naturelle y dialoguent en silence, offrant au voyageur un moment d’émerveillement simple mais profond.

Section 5 : Une petite butte avant de descendre sur Marnans

Aperçu général des difficultés du parcours : montagnes russes prononcées, en montée comme en descente.

La Via Adresca ne s’attarde pas sur la route trop longtemps. Elle préfère, avec une sorte de discrétion, vous conduire sur les délicieux galets du Chambaran. Ces pierres, aux formes variées, roulent sous vos semelles avec une douceur intrigante, surtout lorsque les pentes se font plus prononcées. À chaque pas, le sol semble vous défier, vous guider, et c’est tout un ballet de galets qui s’amuse à vous faire glisser. Le contraste entre la force de la marche et la douceur des pierres est fascinant, et ce paysage prend une teinte particulière, presque intime, où la nature joue ses propres cartes. |
 |
 |
Le chemin s’élève inlassablement, sans jamais offrir de véritables pentes trop ardues. La montée se fait douce, rarement supérieure à 10%. Par moments, le sable vient remplacer les pierres, comme si la nature elle-même tentait de rééquilibrer son propre décor. Ce sable, né des ornières creusées par les tracteurs des forestiers, témoigne de la lutte de l’homme contre le terrain, de son passage inexorable à travers cette terre toujours vivante. Les engins ont labouré le sol jusqu’à en extraire les pierres, laissant derrière eux une empreinte qui se mêle à la boue. L’endroit devient marécageux, mais à chaque pas, on sent la terre vibrer d’une histoire qu’elle ne veut pas oublier. |
 |
 |
Cependant, le plus souvent, ce sont les galets qui règnent en maîtres, à l’ombre des châtaigniers sauvages. Ces arbres, non greffés et dédaignant les raffinements de l’agriculture, semblent offrir des fruits chétifs. Pourtant, malgré leur apparence frêle, ils incarnent la résilience de ce paysage, une terre qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. On peut imaginer que les habitants des lieux, trop habitués à cette nature indomptée, ne trouvent guère d’utilité aux fruits produits, leur saveur rude se fondant dans l’oubli de ces terres sauvages. |
 |
 |
Un peu plus haut, la Via Adresca quitte à regret les galets de la forêt, et le chemin se transforme, comme un tableau dont les couleurs changent au gré de l’ascension. |
 |
 |
À cet instant, le parcours s’ouvre sur les prés et les champs d’oléagineux : soja et tournesol, les seules plantes capables de survivre dans cette nature impitoyable, comme si elles défiaient les caprices du sol. Les champs sont parsemés de pierres, certaines visibles, d’autres cachées dans la terre, plongeant profondément dans le sol, comme pour rappeler que, malgré l’apparente douceur des cultures, la nature garde toujours une emprise tenace. Épierrer la terre, c’est un combat où la pierre semble toujours avoir une longueur d’avance. Elle s’enfonce et résiste, comme un murmure obstiné dans le silence des champs. |
 |
 |
À mesure que l’on progresse, le goudron fait une brève apparition, comme une entorse au cadre sauvage, près de fermes isolées qui semblent se perdre dans l’immensité du paysage. Puis, le chemin reprend ses droits, alternant entre pierres et herbes, traçant une ligne sinueuse entre les éléments, entre l’homme et la terre. |
 |
 |
Le chemin se poursuit, s’élevant dans les prés. Là, de grands chênes majestueux, isolés, dressent leurs silhouettes fières, et quelques rares champs de céréales rappellent, dans leur rareté, la ténacité de la culture humaine face à une nature qui, parfois, semble vouloir effacer tout effort. Ces champs, témoins d’une époque où l’agriculture essayait de dominer le sol, paraissent suspendus dans le temps, presque figés dans leur fragilité. |
 |
 |
Puis, la pente se fait plus raide. La valse des gros cailloux reprend de plus belle, chaque pierre étant un petit défi supplémentaire. Le chemin approche du hameau des Bonettes, où l’aspect du terrain change encore. Ce n’est plus un chemin, c’est un pierrier. L’ascension devient une véritable épreuve, où chaque pas semble lutter contre la gravité. Les pierres, de plus en plus présentes, transforment le paysage en une sorte de chaos organisé, une scène où la nature reprend ses droits sur l’homme, et où chaque pierre est une victoire de l’élément naturel sur la volonté humaine. |
 |
 |
Ici, vous avez atteint une sorte de haut plateau, un endroit où la terre semble s’étirer, se reposer avant de repartir vers d’autres horizons. La Via Adresca ne prend pas la direction des Bonettes, mais opte pour une autre trajectoire, une route goudronnée qui s’étend comme une fine cicatrice sur la peau de ce plateau. |
 |
 |
Des deux côtés de la route, le paysage se déploie dans une vaste étendue, presque infinie. Derrière les prés et le colza, les châtaigniers forment de petites îles, des bouquets sauvages, où l’ombre des arbres semble s’étirer à l’orée des bosquets. Ces châtaigniers, fiers malgré leur aspect chétif, ajoutent une touche de rusticité à ce plateau tranquille, presque figé dans sa beauté. Sur votre droite, en contrebas, la plaine de Bièvre-Valloire se déploie, toujours présente, comme un souvenir qui défile sous vos yeux, une mer de verdure et de champs qui se fond dans l’horizon. |
 |
 |
La Via Adresca poursuit sa course, empruntant des montagnes russes légères sur ce haut plateau. Le terrain devient plus vallonné, et les chênes, ces géants silencieux, ont pris le pouvoir. Les châtaigniers, autrefois omniprésents, se sont effacés, laissant place à des silhouettes majestueuses. Le sol, plus ferme, semble offrir un terrain plus stable, moins capricieux, mais la nature conserve sa force indomptée, rappelant sans cesse qu’ici, c’est elle qui guide le pas. |
 |
 |
Mais voilà que le goudron se fait plus rare et laisse place à la terre battue, reprenant ses droits dans les vastes prés et les champs d’avoine. Les blés nobles, eux, semblent fuir cette terre, ingrate dans ses promesses. Ici, la nature semble moins généreuse, moins disposée à offrir ses fruits, comme si la terre elle-même refusait d’accepter l’effort humain. Les cultures semblent se battre contre un sol qui résiste, un sol qui ne veut pas se laisser dompter. |
 |
 |
 |
 |
Un peu plus loin, le chemin amorce une descente vers Marsens, s’enfonçant dans un sous-bois dense, où la lumière peine à filtrer entre les troncs des arbres. À mesure que la pente se fait plus marquée, les châtaigniers, aux formes maladroites et aux fruits avortés, refont leur apparition. Leurs rejets, miséreux, traînent dans le sous-bois comme une trace laissée par le temps. C’est ici que se dresse un monument particulier, presque étrange : une sorte de dévotion écologiste, un geste des paysans qui ont pris l’habitude de dresser leurs vieux véhicules comme des symboles d’un attachement à la nature. Mais ces endroits ne sont pas beaux, leur apparence est celle de véritables verrues, et leur présence semble un hommage à la résistance de la terre, aussi brutale que la rouille qui ronge les carcasses abandonnées. Ces voitures, que les hommes ont laissées là, rouilleront sans fin, figées dans un temps révolu. |
 |
 |
Ici, la pente devient redoutable, parfois supérieure à 25%, plongeant le marcheur dans une forêt dense où la chlorophylle dégouline, saturant l’air d’une fraîcheur humide. Et comme pour montrer à ceux qui persistent dans leur avancée que le chemin ne leur épargne rien, les galets se font plus nombreux à mesure que l’on descend. Ce n’est plus une simple marche, c’est une épreuve, un affrontement entre l’homme et la nature, où les pierres deviennent des alliées de la gravité. Les galets, toujours plus glissants, semblent vouloir vous pousser vers le bas. Autant descendre par beau temps, pour ne pas vous laisser engloutir par cette mer de pierres, lissant chaque pas, vous poussant vers une chute inéluctable. |
 |
 |
Au bas de cette descente vertigineuse, le chemin débouche enfin sur la route goudronnée qui marque l’entrée de Marnans, un village suspendu entre les hauteurs et la vallée. |
 |
 |
La route, d’une pente douce, mène sans effort au cœur du village, deux pas seulement avant de découvrir son âme. |
 |
 |
À l’entrée du hameau, vous croiserez l’Olagne, un petit ruisseau qui serpente doucement, lui aussi, sur des galets, comme une rivière discrète qui court à l’ombre des montagnes. Il semble, lui aussi, avoir pris la décision de se fondre dans cette vallée, se glissant dans le vallon comme un secret bien gardé, un murmure léger dans le grand silence de la nature.

Marnans est un village discret, un lieu où quelques maisons s’épanouissent doucement autour de l’église, blotties contre cette bâtisse qui veille, paisible, sur la vallée. La route qui traverse le village est si peu fréquentée que l’on pourrait presque entendre le souffle du vent caresser les pierres. L’auberge du coin, modeste mais accueillante, invite à la convivialité. On y mange avec plaisir, et on y dort comme un bienheureux, dans un calme qui semble suspendu dans le temps. Dans une région où les logements sont aussi rares qu’un trésor bien caché, il est sage de ne pas hésiter lorsque l’occasion de s’arrêter se présente. |
 |
 |
L’église Saint-Pierre, qui trône au centre du village, est d’une simplicité frappante, mais d’une beauté qui touche à l’essentiel. Son architecture, de style roman, est enrichie ici et là de délicates touches de style byzantin, des ajouts subtils qui apportent à l’ensemble une certaine légèreté, presque aérienne. Son apparence évoque celle des églises cisterciennes classiques : dépouillée, sans superflu, un lieu où chaque pierre semble consacrée à la prière. La construction de l’édifice est généralement datée entre le XIe et le XIIe siècle, un témoignage silencieux de la foi qui animait les hommes de l’époque. L’église, dans sa simplicité, n’en est pas moins un chef-d’œuvre. Sa voûte en tuf est exceptionnelle, l’une des plus belles réalisations de l’art roman. Le regard se perd dans la finesse de ses formes, et l’on comprend pourquoi elle fait figure de référence parmi les édifices de ce style. Derrière le transept, trois chapelles se cachent dans les absides, comme autant de secrets préservés au cœur de la pierre. Autrefois, un cloître jouxtait l’église, mais il ne reste aujourd’hui que le souvenir de ce lieu de méditation, détruit lors des guerres de Religion à la fin du XVe siècle, victime des conflits qui déchiraient la région.
L’histoire de ce lieu se mêle à celle de la région, et c’est dans ce contexte complexe que se dessine la naissance de l’église. Certains écrits rapportent que ce seraient les Antonins, moines établis à Saint-Antoine-l’Abbaye, un peu plus loin, qui auraient bâti l’édifice originel à Marnans. Cependant, d’autres affirment que ce sont les Bénédictins qui en seraient à l’origine. Le doute persiste, comme souvent lorsque l’on parle des origines des édifices médiévaux, où les témoignages s’effritent avec le temps. Les premières chroniques nous racontent que ce furent les Bénédictins qui, au départ, furent chargés de veiller sur les reliques de saint Antoine de Padoue, conservées à St Antoine-l’Abbaye, des reliques réputées pour leur pouvoir de guérison, notamment contre la gangrène, maladie engendrée par l’ergot de seigle. En 1089, Guérin de Valloire, frappé par cette terrible maladie appelée alors « le feu sacré », fait vœu de se consacrer aux malades s’il venait à guérir. Miraculeusement guéri, il fonde, avec son père, la communauté des frères de l’aumône, une sorte d’hôpital dédié à saint Antoine, pour soigner ceux qui étaient frappés par cette malédiction du seigle. En 1247, le pape décide de régulariser cette communauté et la rattache officiellement à l’ordre des Augustins. Ainsi, Bénédictins et Antonins, qui jusque-là œuvraient en harmonie, l’un priant, l’autre soignant, voient leur relation se distendre, jusqu’à se transformer en un conflit ouvert. L’histoire s’intensifie alors, et le pape, pris dans un dilemme entre les deux ordres, donne finalement raison aux Antonins, écartant les Bénédictins de St Antoine-l’Abbaye. Ce geste marque un tournant dans l’histoire des lieux, un bouleversement qui ne manquera pas de laisser des traces. La suite de cette histoire vous attendra lors de notre prochaine étape, à Saint-Antoine-l’Abbaye, où les vestiges de ce conflit résonneront dans les pierres.
À Marnans, l’histoire se tisse avec les fils d’un conflit qui déchira longtemps les terres de la région. Sans doute, ici, le village fut le théâtre de la lutte incessante entre les deux ordres, les Bénédictins et les Antonins, avant que ce dernier n’impose sa domination sur l’édifice, au gré des tensions religieuses et des alliances fluctuantes. Puis vinrent les Guerres de Religion, ce tourbillon de violence qui secoua le Dauphiné dans la seconde moitié du XVIe siècle, une époque où la région, foyer ardent du protestantisme, devint le terrain de combats féroces et dévastateurs. Le nom de François de Beaumont, baron des Adrets, résonne encore dans les mémoires comme celui d’un des chefs les plus redoutables du parti protestant. Sa réputation de cruauté n’avait d’égal que son désir de réduire au silence l’Église catholique. La destruction des églises était son œuvre de prédilection, et parmi ses victimes figurent les églises de Saint-Antoine-l’Abbaye et de Marnans, lieux de foi et de résistance. C’est ici, entre les brumes de la légende et les pages jaunies des chroniques, notamment celle racontée par Vital Berthin, que s’écrit une autre histoire de Marnans, où l’âme du village semble se mêler aux événements tragiques qui le traversèrent. François de Beaumont, guidé par son impitoyable soif de conquête, se dirigeait vers Marnans avec son armée pour capturer le jeune prieur, fervent défenseur de la foi catholique. Aux côtés du baron marchait le capitaine de Granges, un homme plus modéré, presque catholique dans l’âme, qui tenta en vain de persuader son compagnon d’armes d’épargner le prieur. Mais Beaumont, implacable, resta sourd à ses appels de clémence. Quand il arriva à l’église, il constata que le prieur s’était échappé et s’était réfugié sur la colline voisine. Ne reculant devant rien, Beaumont ordonna de poser des explosifs et alluma la mèche. L’explosion déchira les vitraux, et une partie du mur s’effondra dans un fracas de pierres et de poussière. Le prieur, voyant de loin la catastrophe, redescendit précipitamment et se présenta devant le baron. Il implora que l’on épargne l’église de Dieu. Mais Beaumont, furieux, donna l’ordre à ses soldats de démolir la toiture. Le prieur, dans un dernier acte de foi, proposa même sa propre vie pour sauver l’église, mais son refus de se convertir au protestantisme scella son sort. Les soldats firent alors feu sur lui, mais le prieur, bien que gravement blessé, ne mourut pas immédiatement. C’est alors que le capitaine de Granges intervint, prenant soin du blessé et lui ôtant ses vêtements. À ce moment, un miracle apparut : sur les tissus de l’infortuné, l’image de la mère du prieur se dessina. Ému, Beaumont ordonna de suspendre immédiatement la démolition de l’église. Il prit en charge le prieur blessé, et, au moment de sa mort, se pencha sur lui, fermant ses yeux d’un geste respectueux, avant de fondre en larmes. Le baron, bouleversé par ce signe divin, abandonna sa cause et se tourna à son tour vers le catholicisme, marquant ainsi la fin d’une époque pour lui.
Cette histoire, que l’on peut croire ou non, fait aujourd’hui encore écho dans le cœur de Marnans. Songez-y la prochaine fois que vous pénétrerez sous la grande nef de l’église, où chaque pierre semble murmurer les récits du passé. |
 |
 |
Ce jour-là, on avait vu grand à l’auberge. C’était le jour de la Fête de la Musique. On a grillé des saucisses, bu et dansé jusque tard dans la nuit au pied de l’église. Magnifique. |
 |
 |
Logements officiels sur la Via Adresca
- Château de Montgontier, Gillonay; 04 74 20 25 78/ 06 84 64 92 56 ; Gîte, repas, cuisine.
- Chambre d’hôte Sous le Figuier, St Siméon-de-Bressieux ; 07 82 64 99 57 ; Chambre d’hôte, repas, petit déj.
- Auberge de Marnans, Marnans ; 09 56 30 58 17 ; Hôtel, repas, petit déj.
Accueils jacquaires (voir introduction)
- Gillonay (1)
- Brézins (1)
- St Siméon-de-Bressieux (3)
Sur la Via Adresca, les options d’hébergement sont presque toujours limitées. Vous ne traversez pas l’Ardèche touristique du Sud. Le logement est limité, même pour les AirBnB, dont les adresses ne sont pas disponibles. La liste ne répertorie que les logements situés directement sur le parcours ou à moins de 1 km du chemin. Le guide des Amis de Compostelle, quant à lui, recense toutes les adresses de logements disponibles, ainsi que celles des bars, restaurants et boulangeries le long du tracé, et même à plusieurs kilomètres du parcours. Pour se restaurer, il est possible de faire une pause à Brézins et à Saint-Siméon-de-Bressieux. À la fin de l’étape, l’hôtel de Marnans représente une option, mais il est impératif de réserver à l’avance. À défaut, il faudra poursuivre jusqu’à Roybon pour trouver un hébergement, bien que les choix restent également limités dans cette localité.
N’hésitez pas à ajouter des commentaires. C’est souvent ainsi que l’on monte dans la hiérarchie de Google, et que de plus nombreux pèlerins auront accès au site.
|
 |
Etape suivante : Etape 9: De Marnans à St Antoine L’Abbaye |
|
 |
Retour au menu |